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19 mars 2019 2 19 /03 /mars /2019 21:02
En coulisses, le clan de Bouteflika négocie sa survie

AlgérieAlors que la société civile espère une transition démocratique, les cercles du pouvoir, incapables de désigner un successeur, serrent les rangs autour du président pour gagner du temps.

 Le 9 février dernier, les partisans du Front de libération nationale (FLN) réuni dans la Coupole d’Alger désignaient Abdelaziz Bouteflika comme leur candidat à la présidentielle pour un cinquième mandat, sous un portrait géant du chef de l’État, dont les apparitions en public sont rarissimes depuis son AVC en 2013. 

(ci-dessous). Le même jour, Bouteflika a reçu Nouredine Bedoui, Ramtane Lamamra et Lakhdar Brahimi et a procédé à leurs nominations dans le cadre du processus de transition. Cela n’a pas calmé la rue algérienne, où les 5 barrés (non à un 5e mandat) ont fait place à des 4+ barrés (ci-dessus). RYAD KRAMDI/REUTERS/EPA/MOHAMED MESSARA

Le 9 février dernier, les partisans du Front de libération nationale (FLN) réuni dans la Coupole d’Alger désignaient Abdelaziz Bouteflika comme leur candidat à la présidentielle pour un cinquième mandat, sous un portrait géant du chef de l’État, dont les apparitions en public sont rarissimes depuis son AVC en 2013. (ci-dessous). Le même jour, Bouteflika a reçu Nouredine Bedoui, Ramtane Lamamra et Lakhdar Brahimi et a procédé à leurs nominations dans le cadre du processus de transition. Cela n’a pas calmé la rue algérienne, où les 5 barrés (non à un 5e mandat) ont fait place à des 4+ barrés (ci-dessus)

En une mosaïque de post-it jaunes, roses et verts collés sur le mur, place Audin, au centre-ville d’Alger, les étudiants ont trouvé une nouvelle façon de protester. «Laissez-nous tranquilles!» «Je n’aime pas les voleurs!» «On s’est réveillés, on va devenir votre problème!» peut-on lire sur les petits bouts de papier. Comme un nouveau signe de résistance à la nouvelle offre du président Bouteflika, présentée lundi dans un message lu en son nom.

 


 

Lire aussi: L'Algérie veut écrire sa propre histoire

 


 

Le package – un renoncement au cinquième mandat mais une prolongation du quatrième, un report des élections, l’organisation d’une conférence nationale et un remaniement gouvernemental – n’a clairement pas eu l’effet escompté. Les étudiants et les lycéens sont restés dans la rue, des employés du secteur public et privé ont poursuivi leurs sit-in et de nouveaux appels à manifester vendredi 15 mars ont été lancés sur les réseaux sociaux.

Lundi, la Télévision algérienne a diffusé une séquence montrant le président de retour de Genève en compagnie du vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’Armée national populaire, le général Ahmed Gaid Salah. Image:Reuters

Plus d’intermédiaires

«C’est la grande faute de Bouteflika», souligne Tarik Mira, de l’Initiative pour la refondation démocratique, un espace d’expression citoyenne. «Il a cassé toute intermédiation politique (partis, syndicats, associations), alors maintenant, la présidence se retrouve face à la rue. La seule solution est de trouver un compromis, un nouveau consensus avec la société civile et l’opposition politique, en choisissant bien les personnes auxquelles on va faire appel. Sinon le processus de transition va s’enliser.»

Toujours ce lundi, Bouteflika a reçu Nouredine Bedoui, Ramtane Lamamra et Lakhdar Brahimi et a procédé à leurs nominations dans le cadre du processus de transition. Cela n’a pas calmé la rue algérienne, où les 5 barrés (non à un 5e mandat) ont fait place à des 4+ barrés. Image: EPA/Mohamed Messara

Loin de ces préoccupations sur l’avenir de la démocratie, à la périphérie du cercle présidentiel, où se trouvent de fidèles partisans du chef de l’État, une source dénonce une «manipulation» fomentée par deux hommes: Lakhdar Brahimi, ex-diplomate nommé à la tête de la conférence nationale, et Ramtane Lamamra, vice-premier ministre (un poste créé lundi) qui retrouve son poste de chef de la diplomatie (il l’avait occupé de 2013 à 2017). Selon cette version des faits, ils auraient téléphoné à Saïd Bouteflika. Ce dernier, déjà réticent à l’idée d’un cinquième mandat de son frère aîné à la santé déclinante, se serait laissé convaincre par le plan de sortie de crise des deux hommes, en qui il a confiance. Les oligarques qui ont intérêt à ce que le président reste en place et certains membres de l’appareil sécuritaire ont probablement aussi pesé dans son choix.

Des rivaux réconciliés

Résultat: les différentes élites, ces forces rivales qui s’opposent au sein du système, auraient mis de côté leurs querelles. D’un côté le cercle présidentiel, et de l’autre les réseaux de l’État profond (deep state: l’armée, la gendarmerie, la police et l’administration) auraient ainsi dessiné le nouvel attelage de l’Exécutif. Avec d’un côté Bedoui (le nouveau premier ministre, proche des Bouteflika) et de l’autre Lamamra (le nouveau vice-premier ministre, proche de l’État profond).

Mais, dans les réseaux de l’ex-Direction du renseignement et de la sécurité, on estime que cet attelage est «une solution par défaut». «Le Conseil constitutionnel ne pouvait ni valider la candidature de Bouteflika – la rue ne l’aurait jamais accepté – ni l’invalider», explique une source sécuritaire en évoquant la date limite de validation des candidatures à l’élection présidentielle, fixée au mercredi 13 mars. «Il fallait trouver une issue», conclut-il en laissant entendre que cette solution avait l’avantage de plaire aux partenaires de l’Algérie, la France et les États-Unis.

Gagner un à deux ans

Le politologue Rachid Tlemçani revient à un décryptage plus basique: «Ils (les décideurs) sont en train d’appliquer le premier scénario prévu et de lui donner une légitimité populaire: faute d’entente entre eux, ils ont choisi par défaut l’option du cinquième mandat. Ils voulaient une à deux années de plus? C’est fait!» Cette analyse est globalement partagée même à l’intérieur de l’État: face à la pression populaire, l’objectif premier est de gagner du temps pour qu’un consensus se forme autour du candidat de la succession, dont le nom sera probablement donné par la conférence nationale. Pour connaître le nom de l’heureux «élu», il faudra donc attendre la fin 2019.

 


 

 

Un trio issu du premier cercle conduira la transition

 

Avant même sa nomination à la tête de l’Exécutif, Noureddine Bedoui était qualifié de «premier ministre bis». C’est cet énarque de 59 ans qui accompagnait, en tant que ministre de l’Intérieur, le président Bouteflika lors de ses dernières rares sorties dans la capitale, pendant que le premier ministre de l’époque, Ahmed Ouyahia, brillait par son absence. Il est réputé proche d’un des frères Bouteflika, Nacer, secrétaire général du Ministère de la formation professionnelle, où il officia comme ministre entre 2013 et 2015. Son premier poste important, il l’occupera à 41 ans comme préfet de la wilaya de Sidi Bel Abbès (ouest), avant de passer par trois autres préfectures. Volontariste et cassant parfois, il imposa son style direct avec ses collaborateurs. À la fin de 2018, alors qu’il organise un colloque sur l’immigration clandestine des jeunes, il fait cet aveu public: «Les jeunes ne nous aiment pas, nous le savons.»

Son vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, est issu d’une autre école: la diplomatie. À 67 ans, cet habitué des couloirs des Nations Unies et des organisations internationales – il était pressenti pour la présidence de l’Union africaine, il fut membre du conseil d’administration de l’International Crisis Group et a déjà occupé le poste de chef de la diplomatie entre 2013 et 2017 – s’était vu confier la mission de «vendre» le quatrième mandat de Bouteflika à l’international. Si Bedoui représente l’aile «présidentielle» de ce trio, Lamamra est néanmoins le chouchou du deep state algérien qui tente de garder la main sur la transition qui s’annonce.

Lakhdar Brahimi, 85 ans, devrait quant à lui présider la conférence nationale promise par Bouteflika avant la fin de 2019. Cet ancien négociateur hors pair, architecte des accords de Taëf qui ont mis fin à la guerre civile libanaise en 1989 et récemment médiateur en Syrie pour l’ONU, a été ministre des Affaires étrangères en plein début de la crise des années 1990. Sa spécialité, la diplomatie de crise, pourrait lui être utile les prochains mois. A.AR.

(TDG)

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